La loi N°65-557 du 10 juillet 1965 sur la copropriété s'applique également aux biens détenus par les personnes publiques

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La propriété publique des personnes publiques, leur domaine public, est, pour rappel, imprescriptible, l'usucapion étant alors impossible, et inaliénable, les biens publics ne pouvant donc être vendus.

Cette propriété publique ne peut pas non plus être frappée d'hypothèque et ne peut être louée ou utilisée pour un autre usage que celui du public, sauf si elle n'est pas affectée à l'usage direct du public, à un service public et qu'elle ne fait pas l'objet de l'aménagement indispensable à l'existence de ce service public, conformément aux dispositions de l'article L 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P). 

Seul le déclassement d'un bien public d'une personne publique permet son transfert dans son domaine privé, sa propriété privée, ce qui emporte la compétence du juge judiciaire et la possibilité de sa vente.

Ce déclassement d'un bien relevant de la propriété publique d'une personne publique présuppose une désaffectation de ce bien, cette désaffectation établissant que ce bien n'est plus utilisé et/ou plus affecté à l'usage direct ou indirect du public ; la désaffectation se constate donc dans les faits.

Inversement, le fait que ce bien fasse déjà partie du domaine privé de cette personne publique induit qu'aucun déclassement n'est nécessaire puisqu'il n'appartient plus au domaine public de la personne publique.


Or, ce privilège du déclassement des biens appartenant à des personnes publiques par ces mêmes personnes, dès lors qu'ils sont inclus dans des immeubles soumis à la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété, n'existe pas.

Pareillement, dès lors qu'ils sont inclus dans une copropriété gérée selon la loi N°65-557 du 10 juillet 1965 sur la copropriété, ces biens ne relèvent plus de la compétence du juge administratif mais de celle du juge judiciaire et doivent être gérés selon les règles posées par cette loi.


Ces constats sont confirmés par le juge administratif comme par le juge judiciaire.

Ainsi, le Conseil d'Etat, dans une décision N°370630 du 19 juillet 2016 confirme que des biens affectés à un service public (La Poste) pendant 33 ans, dès lors qu'ils appartenaient à une copropriété dès cette affectation initiale, sont soumis, sans même qu'un déclassement soit nécessaire, à la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété des immeubles bâtis du fait du statut de l'établissement soumis au droit privé pendant cette période.

Inversement et successivement, du fait de la sortie de cet immeuble du régime de la copropriété à l'issue de ces 33 années, ces biens de La Poste ayant bénéficiés d'une réaffectation au service public dès lors qu'elle était redevenue une entreprise publique autonome, ce déclassement tombe en désuétude.


Il est donc établi que le Conseil d'Etat a constaté la soumission de l'immeuble au régime de la copropriété régi par la loi du 10 juillet 1965, faisant prévaloir ce régime sur les règles de gestion du domaine des personnes publiques, pour le faire à nouveau rentrer dans ce domaine dès lors que l'établissement occupant le bien était redevenu un établissement public à caractère administratif.

Cette position confirmant la primauté de la loi du 10 juillet 1965 sur le domaine des personnes publiques vient justement d'être entérinée par le Tribunal des conflits qui, dans sa décision N° C4319 du 7 octobre 2024, précise la primauté du régime de la copropriété tel que posé par la loi du 10 juillet 1965 sur celles-ci ; "Les règles essentielles du régime de la copropriété telles qu'elles sont fixées par la loi du 10 juillet 1965 (énumération des règles), ... sont incompatibles tant avec le régime de la domanialité publique qu'avec les caractères des ouvrages publics."

Par voie de conséquence, un bien, même appartenant au domaine public d'une personne publique, faisant partie d'une copropriété soumise à la loi du 10 juillet 1965, est en réalité soumis aux règles de droit posées par cette loi, ce qui emporte la compétence judiciaire pour toutes les questions concernant cette copropriété.

Cette position fait suite à celle de la Cour administrative d'appel de Paris qui dans une décision N°23PA00058 du 21 mars 2024 précisait qu'un syndicat de copropriétaires a de toutes manières intérêt à agir, au titre de la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété des immeubles bâtis, devant la juridiction administrative dès lors qu'une "décision administrative relative à un ouvrage public ou au domaine public ou au domaine privé, ... lorsque les troubles allégués sont susceptibles d'affecter, par leur nature et leur intensité, de manière indivisible, les parties communes et les parties privatives de l'immeuble et présentent ainsi un intérêt collectif", cet intérêt à agir n'étant donc pas réservé au seul profit de la personne publique. 
 

La soumission de la gestion du domaine privé des personnes publiques, dès lors que leurs biens sont en copropriété, à la loi du 10 juillet 1965 reste néanmoins conditionnée, pour le juge administratif, à l'absence d'un "intérêt collectif" et de "troubles" qui justifieraient la rétention de sa compétence.

La Cour de cassation de son côté se montre moins réticente à appliquer la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété dès lors que ce domaine public comme privé des personnes publiques est inclus dans une copropriété privée, cette Cour précisant dans sa décision N°13-24.978 du 13 novembre 2014 que ; " sans se fonder sur la seule dénomination donnée par les parties à leur convention ni procéder par simple affirmation, la Cour d'appel, après avoir relevé que la commune avait soumis l'une des parcelles données à bail au régime de la copropriété, en a justement déduit que cette parcelle appartenait au domaine privé communal et retenu, à l'instar d'une décision administrative irrévocable rendue entre les mêmes parties, que la parcelle supportant le four solaire constituait une dépendance du domaine privé ;

Attendu, ensuite, qu'après avoir estimé que la preuve n'était pas rapportée de l'affectation de la parcelle à l'usage direct du public et relevé que la société gérait seule son exploitation sans aucun contrôle de l'administration, ce qui excluait sa participation à une mission de service public, la Cour d'appel a retenu à bon droit que ne pouvaient être analysées comme une clause exorbitante de droit commun, ni celle portant création d'un comité d'orientation, dont l'effectivité même était contestée, ni la stipulation selon laquelle l'exploitation serait pour partie reprise en régie en cas de cessation totale d'activité de la société ; qu'elle en a exactement déduit que la convention litigieuse était un contrat de droit privé relevant de la compétence de la juridiction judiciaire ; que le moyen n'est pas fondé
;

Cette position doit toutefois et encore une fois être nuancée au titre d'un droit d'antériorité de la propriété publique, cette même Cour précisait en effet dans une décision N°07-15772 du 25 février 2009 qu'un règlement de copropriété ne pouvait soustraire au domaine public d'une commune un ouvrage public préexistant à cette copropriété, il s'agissait alors de portiques qui par convention de vente en 1881 étaient réservés par la commune au domaine public.

Dans ce cas, une convention placée entre une personne publique et une copropriété réservant clairement le domaine public à cette personne publique, dès lors que cette convention constate l'antériorité de ce domaine public par rapport à la création de cette copropriété, écarte le champ d'application de la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété mais uniquement sur le constat de l'existence d'une relation conventionnelle.

Car, en tout état de cause, c'est bien le juge judiciaire qui va apprécier si le bien est encore affecté à un quelconque service public ou à l'usage direct du public et donc qui va décider de l'application de la loi du 10 juillet 1965 à un bien appartenant, dans une copropriété, à une personne publique.

Le juge judiciaire appliquera alors les règles du droit privé, et donc celles de la loi N°65-557 du 10 juillet 1965 sur la copropriété.

Ainsi, la prescription acquise au bénéfice d'une copropriété sur le domaine privé d'une personne publique peut très bien conduire le juge judiciaire a constater les effets de cette même prescription au profit d'une personne publique contre cette même copropriété (dans ce sens une décision de la Cour de cassation N°70-14.127 du 03/05/1972).

Toutefois, la Cour d'appel de Chambéry, dans une décision N°15/01273 du 10 janvier 2017, refuse aux personnes publiques de transformer en "domaine public de fait " leur domaine privé dès lors qu'elle constate qu'il est déjà régi par la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété.

Mais, dans un cas comme dans l'autre, ce sont de toutes manières les règles posées par le Code civil concernant l'acquisition de la propriété qui ont supplantées celles concernant le domaine public posées par le juge administratif.

Ce constat était déjà confirmé par le Conseil d'Etat dans une de ses anciennes jurisprudences N°109564 du 11 février 1994, celui-ci précisant alors clairement que des locaux acquis par l'Etat, relevant donc de son domaine public, ne pouvaient, dès lors qu'ils sont soumis au régime de la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété, relever de ce domaine public :
"que, par suite, des locaux acquis par l'Etat, fût-ce pour les besoins d'un service public, dans un immeuble soumis au régime de la copropriété n'appartiennent pas au domaine public et ne peuvent être regardés comme constituant un ouvrage public ; que, par conséquent, les dommages qui trouveraient leur source dans l'aménagement ou l'entretien de ces locaux ne sont pas des dommages de travaux publics
."

Il s'ensuit que la désaffectation d'un bien relevant du domaine public d'une personne publique peut en réalité être automatiquement et même factuellement constatée par le juge judiciaire (dans ce sens une décision de la Cour de cassation N°12-24153 du 26/11/2013), tout comme le caractère privé du domaine de cette même personne publique dès lors que ce bien est un lot d'une copropriété soumise à la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété des immeubles bâtis.

Pareillement, il est constaté que ce même juge judiciaire dispose de l'aval du Conseil d'Etat dans ce type de constatations, car pour le Conseil d'Etat tout domaine public géré par une copropriété est forcément un domaine privé, dans ce sens, plusieurs décisions du Conseil d'Etat ; Conseil d'Etat N°430192 du 23/01/2020 ; Conseil d'Etat N°109564 du 11/02/1994 ; Conseil d'Etat N°370630 du 19/07/2016 ; Tribunal des conflits N° C 4319 du 07/10/2024, 

Il est donc possible de constater le caractère automatique du déclassement par le juge judiciaire comme administratif des biens d'une personne publique dès lors qu'ils font partie d'une copropriété privée.

De la même façon, la soumission imposée par le juge judiciaire des biens appartenant aux personnes publiques et inclus dans une copropriété soumise à la loi du 10 juillet 1965 ne pourra qu'être reconnue.

En conclusion, il est avéré que tous les types de contentieux portant sur les biens des personnes publiques en copropriété telle que définie par la loi N°65-557 du 10 juillet 1965 devraient dorénavant être portés devant la juridiction judiciaire.




















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