Domaine public et copropriété : l'exclusivité du domaine public conduit a transférer de facto un bien relevant du domaine public à son domaine privé dès constat de son intégration à une copropriété
-La jurisprudence administrative comme judiciaire est on ne peut plus claire sur le sujet : la propriété d'une personne publique intégrée dans une copropriété de droit privé régit par la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété bascule irrémédiablement du domaine public de cette personne à son domaine privé, ce domaine privé relevant du droit privé, ce qui emporte la compétence du juge judiciaire.
Le Conseil d'Etat confirme ce constat dès 1994, dans une décision N°109564 du 11 février de la même année ;
"Considérant que les règles essentielles du régime de la copropriété telles qu'elles sont fixées par la loi du 10 juillet 1965, et notamment la propriété indivise des parties communes, - au nombre desquelles figurent, en particulier, outre le gros oeuvre de l'immeuble, les voies d'accès, passages et corridors -, la mitoyenneté présumée des cloisons et des murs séparant les parties privatives, l'interdiction faite aux copropriétaires de s'opposer à l'exécution, même à l'intérieur de leurs parties privatives, de certains travaux décidés par l'assemblée générale des copropriétaires se prononçant à la majorité, la garantie des créances du syndicat des copropriétaires à l'encontre d'un copropriétaire par une hypothèque légale sur son lot, sont incompatibles tant avec le régime de la domanialité publique qu'avec les caractères des ouvrages publics ;
que, par suite, des locaux acquis par l'Etat, fût-ce pour les besoins d'un service public, dans un immeuble soumis au régime de la copropriété n'appartiennent pas au domaine public et ne peuvent être regardés comme constituant un ouvrage public."
Ne relevant pas de son domaine public, ces biens relèvent en effet de son domaine privé dès lors que l'article L 2211-1 du Code général de la propriété des personnes publiques précise que les biens qui ne relèvent pas du domaine public d'une personne publique relèvent forcément de son domaine privé :
"Font partie du domaine privé les biens des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1, qui ne relèvent pas du domaine public par application des dispositions du titre Ier du livre Ier."
Ce constat est confirmé encore une fois par le Conseil d'Etat dans une décision N°346997 du 15 novembre 2012 dans laquelle il est précisé clairement que ;
"Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B a demandé au tribunal administratif l'annulation de la délibération du 7 mars 2005 par laquelle le conseil municipal de la ville de Paris a autorisé le maire à lui donner congé pour vente du logement communal qu'elle occupait dans un immeuble en copropriété situé 31 rue Bonaparte dans le 6ème arrondissement en vertu d'un contrat de location arrivant à échéance le 30 septembre 2005 ;
que ce logement constitue une dépendance du domaine privé de la ville ;
que la délibération attaquée a pour seul objet de mettre un terme à une relation contractuelle portant sur ce bien ;
qu'en rejetant l'appel formé par Mme B contre le jugement du tribunal ayant statué au fond sur ce litige, la cour administrative d'appel de Paris, qui était tenue de relever d'office l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître de cette contestation et de censurer pour ce motif le jugement du tribunal, a méconnu son office et, par suite, commis une erreur de droit ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé."
Le Conseil d'Etat ne fait ici que confirmer, outre la qualification de domaine privé du bien d'une personne publique dès lors que ce bien est intégré dans une copropriété privée, l'incompétence du juge administratif pour juger des litiges relatifs à ce type de biens.
Ce constat confirme également la distributivité du domaine privé des personnes publiques, dès lors qu'un bien de leur domaine privé, parce qu'étant dans une copropriété régie par le droit privé, revient automatiquement dans le domaine public de ces mêmes personnes publiques dans le cas ou il est affecté à un service public : ainsi dans une décision N°370630 du 19 juillet 2016 dans laquelle le Conseil d'Etat confirme que " l'ensemble immobilier en litige, qui appartenait en 1976 à une copropriété, est sorti de cette copropriété le 3 mars 1999 ; que les règles essentielles du régime de la copropriété telles qu'elles sont fixées par la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis sont incompatibles tant avec le régime de la domanialité publique qu'avec les caractères des ouvrages publics ;
qu'en conséquence, avant le 3 mars 1999, l'ensemble immobilier en litige ne pouvait, en tout état de cause, ni appartenir au domaine public, ni constituer un ouvrage public ; qu'en revanche, à compter de cette date, l'ensemble immobilier en litige, qui ne faisait plus partie d'une copropriété, appartenait à une personne publique et était affecté au service public postal, est entré dans le domaine public"
, le Tribunal des conflits confirmant de son côté très récemment, dans sa décision N°C4319 du 7 octobre 2024, que ;
"Les règles essentielles du régime de la copropriété telles qu'elles sont fixées par la loi du 10 juillet 1965, et notamment la propriété indivise des parties communes, au nombre desquelles figurent, en particulier, outre le gros œuvre de l'immeuble, les voies d'accès, passages et corridors, la mitoyenneté présumée des cloisons et des murs séparant les parties privatives, l'interdiction faite aux copropriétaires de s'opposer à l'exécution, même à l'intérieur de leurs parties privatives, de certains travaux décidés par l'assemblée générale des copropriétaires se prononçant à la majorité, la garantie des créances du syndicat des copropriétaires à l'encontre d'un copropriétaire par une hypothèque légale sur son lot, sont incompatibles tant avec le régime de la domanialité publique qu'avec les caractères des ouvrages publics. Par suite, des biens appartenant à une personne publique dans un immeuble soumis au régime de la copropriété n'appartiennent pas au domaine public et ne peuvent être regardés comme constituant un ouvrage public, fussent-ils affectés au besoin du service public ou à l'usage du public"
, reprenant la jurisprudence du Conseil d'Etat N°109564 du 11 février 1994.
La Cour de cassation confirme de son côté ce constat dans une décision 8 avril 2021 N°18-24.494 : un bien appartenant à une personne publique fait partie de son domaine privé dans son ensemble dès lors qu'il s'agit d'un bien affecté tant aux parties communes qu'aux parties privées d'une copropriété.
Il s'agissait alors de délimiter la partie publique de la partie privée de canalisations d'alimentation en eau d'une copropriété : le règlement du délégataire/distributeur d'eau potable prévoyait que, et ces clauses imposées par le délégataire public étaient attaquées par des copropriétaires privés ;
"Article 4 : Le branchement : on appelle « branchement » le dispositif qui va de la prise sur la conduite de distribution publique jusqu'au système de comptage ; 4.1- La description : a) Le branchement fait partie du réseau public et comprend 3 éléments : 1°) la prise d'eau sur la conduite de distribution publique, et le robinet de prise sous bouche à clef ; 2°) la canalisation située tant en domaine public qu'en domaine privé ; 3°) le dispositif d'arrêt (c'est-à-dire le robinet situé avant compteur) muni d'un système inviolable ; b) Le système de comptage comprend : 1°) le compteur muni d'un dispositif de protection contre le démontage ; 2°) le robinet après compteur ; 3°) le clapet anti-retour avec purge éventuelle ; Votre réseau privé commence au-delà du joint situé après le système de comptage. Le robinet après compteur (donc) fait partie de vos installations privées."
Dans cette décision, le juge de cassation, qui aurait pu décliner sa compétence, décide que "il n'est pas établi que les clauses litigieuses créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et ne sauraient, en conséquence, être regardées comme abusives," rétablissant la compétence du juge judiciaire sur l'alimentation en eau d'une copropriété par un délégataire public.
Egalement, la Cour de cassation, dans une décision du 9 décembre 2015 N°14-26.454, cas d'un déclassement à "retardement" d'un bien du domaine public qui devait être effectif au bout de trois ans, consacre elle-même ce déclassement au profit du domaine privé de la personne publique, déclassement qu'elle prononce d'office pour les motifs suivants :
"que cette décision a prévu que la désaffectation effective des parties de volumes concernées devra intervenir dans un délai de maximum de trois ans ; que l'EPADESA ne peut sans contradiction avoir décidé de sortir les volumes concernés du statut de droit public, ce qui plaçait tout litige les concernant sous la compétence des juridictions judiciaires, pour ensuite venir prétendre que sa propre décision serait devenue caduque faute de désaffectation des volumes de leur fonction publique dans le délai mentionné, alors d'une part qu'il n'est justifié d'aucune décision de constat de la caducité alléguée du déclassement qui aurait réintégré les volumes dans le régime de droit public, que d'autre part que par application du principe d'Estoppel reconnu par la cour de cassation nul ne peut se contredire au préjudice d'autrui ; qu'en conséquence il convient, constatant le déclassement des volumes concernés par les travaux de constater le caractère infondé, en plus que tardif, de l'exception d'incompétence soulevée devant le juge de la mise en état, et de confirmer l'ordonnance entreprise"
, cette exception d'incompétence étant fondée sur le constat que le litige devait relever de la juridiction administrative et non judiciaire.
Nous sommes clairement ici dans des cas ou un règlement de copropriété de droit privé l'emporte sur la nécessité de déclasser les biens relevant du domaine public pour les transférer aux biens relevant du domaine privé de ces mêmes personnes, comme prévu à l'article L 2141-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.
Ceci revient à admettre que le domaine public puisse être déclassé par les règles gouvernant les copropriétés reviendrait de facto à autoriser lesdites copropriétés à annihiler la notion de domaine public.
Cette méthode de déclassement est-elle la nouvelle tendance et permettrait-elle au juge judiciaire de déclasser le domaine public des personnes publiques au profit de leur domaine privé sans leur intervention dans les copropriétés ?
Pour résumer, assistons-nous à un phénomène parallèle à celui prévu au Code général de la propriété des personnes publiques d'un nouveau type de déclassement du domaine public par le juge judiciaire ?
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